Cet article a été rédigé pour le journal Telegraph: https://www.telegraph.co.uk/global-health/science-and-disease/covid-19-has-already-killed-500000-larger-health-catastrophe/ 

La pandémie de COVID-19 a mis à jour la fragilité des services de santé dans de nombreux pays pauvres, fragilisant d’autant la situation des femmes et des enfants. Les gouvernements ont le devoir de redoubler d’efforts dans la prestation des soins essentiels pour éviter que des années de progrès accomplis ne soient effacées.

Si la pire crise sanitaire du siècle a déjà causé plus de 500 000 décès, une catastrophe bien plus grave se profile à l’horizon. Des dizaines de millions de femmes et d’enfants pourraient mourir ou souffrir de conséquences à vie sur leur santé, du fait de l’interruption des services sanitaires de base et de la réticente des patients à chercher à se soigner, par peur d’une infection à la COVID-19.

De nouvelles données de la Somalie, du Mali et du Libéria indiquent jusqu’à 40 pour cent de réduction des services de santé de base, tels que la vaccination infantile, les soins prénatals et l’accouchement sans risques. Le Mécanisme de Financement Mondial (GFF) estime que jusqu’à 26 millions de femmes pourraient perdre l’accès à la planification familiale dans les 36 pays soutenus par le GFF, entraînant ainsi près de 8 millions de grossesses non désirées.

De plus en plus d’enfants ne reçoivent pas les vaccinations de routine, et de plus en plus de femmes accouchent sans assistance médicale. Nos enquêtes ont révélé que dans presque chacun de nos 36 pays partenaires à faible revenu, la pandémie a perturbé la capacité des agents de santé à exercer leurs fonctions, pour diverses raisons, y compris les taux élevés d’infection, le manque d’équipement de protection individuelle et l’incapacité à se déplacer du fait des mesures de confinement. Les trois quarts de ces pays ont également connu d’importantes pénuries de médicaments essentiels, tels que les antibiotiques dans le traitement de la pneumonie – principale cause de décès dans l’enfance – et  l’ocytocine qui permet d’arrêter les hémorragies post-accouchement.

L’expérience des épidémies antérieures laisse présager la portée éventuelle du danger à venir. De récentes estimations publiées dans The Lancet indiquent que si la COVID-19 provoque des niveaux d’interruption dans les services de santé semblables à ceux enregistrés lors de l’épidémie d’Ébola en Afrique de l’Ouest en 2014–2015, près de 1,2 million d’enfants et 57 000 mères pourraient mourir dans les six prochains mois, soit une hausse de 45 pour cent de la mortalité infantile par rapport au niveau actuel.

Plus d’hommes que de femmes meurent du virus – potentiellement du fait de différences immunologiques entre les genres – mais dans de nombreux cas dans le monde entier, les femmes subissent les pires conséquences du virus. Elles sont, par exemple, plus susceptibles d’être victimes de la forte augmentation de la violence domestique, que les chercheurs pourraient attribuer aux difficultés financières croissantes, alors que des millions de personnes sombrent dans l’extrême pauvreté.

Mais cela ne doit pas forcément se passer ainsi. Il y a cinq ans, des leaders mondiaux ont lancé le GFF pour dynamiser les investissements en direction des besoins de santé mondiaux des femmes, des enfants et des adolescents à fort impact, mais de tout temps sous-financés. Le GFF a mis en avant une approche plus durable : inciter les gouvernements à prendre l’initiative de rassembler des partenaires autour d’un plan national priorisé et chiffré visant l’accélération des améliorations en santé et bien-être des femmes, des adolescents et des enfants.

Cette approche fonctionnait, avant la COVID-19. Dans les pays partenaires tels que la Tanzanie, le premier pays à avoir intégré le GFF, la plupart des indicateurs des soins de santé pour les femmes et les enfants ont enregistré une amélioration ces cinq dernières années. Par exemple, plus de femmes avaient accès à des contraceptifs modernes et bénéficiaient de soins anténatals plus fréquemment. En outre, davantage d’accouchements étaient assistés par des agents compétentes ces quatre dernières années, passant de 66 pour cent en 2015 à 80 pour cent en 2018.

 

De 2015 à 2019, le Kenya a élargi sa couverture de soins postnatals de 52 à 78 pour cent, et au cours de la même période, le nombre d’accouchements assistés par des agents compétentes passait de 54 à 64 pour cent. Le Kenya a également procédé à une augmentation de l’allocation de son budget national à la santé au niveau des comtés.

En Éthiopie, l’un des premiers pays à avoir expérimenté le modèle de financement catalytique du GFF, les naissances en présence d’agents de santé compétentes sont passés de 28 à 50 pour cent entre 2016 et 2019, et le nombre d’enfants de moins de deux ans bénéficiant d’un accompagnement à la nutrition est, lui, passé de 27 à 44 pour cent.

Grâce à des agents de santé dévouées et un effort concerté de la part des gouvernements et des partenaires mondiaux, les décès maternels au cours de l’accouchement ont chuté de près de 40 pour cent depuis 2000, alors que les taux de mortalité infantile avaient décru de 46 % depuis 2000, selon des estimations d’un groupe interinstitutions de l’ONU. Beaucoup trop de femmes et d’enfants continuent néanmoins à décéder de causes évitables, mais les progrès allaient dans le bon sens.

Malheureusement, ces progrès et bien d'autres sont maintenant menacés par la COVID-19. La réponse du GFF à la COVID-19 porte sur trois axes, alignés sur notre mission centrale qui est de promouvoir de meilleurs résultats en matière de santé pour les femmes, les enfants et les adolescents. En premier lieu, nous aidons les pays à hiérarchiser et à planifier la continuité des services de santé essentiels. Ensuite, et en collaboration avec la Banque Mondiale et d’autres partenaires, nous aidons des pays à renforcer la prestation de leurs services de première ligne, afin d’assurer la continuité des services essentiels de santé reproductive, de la mère, du nouveau-né, de l’enfant et de l’adolescent. Troisièmement, nous abordons les contraintes liées à la demande de services de santé, que nous remarquons être en croissance.

Outre la protection à court terme des services de santé essentiels tout au long de la présente pandémie, le monde peut stopper l’hémorragie causée par cette crise et les prochaines crises sanitaires mondiales, en investissant dans des systèmes de santé primaire plus résilients et équitables dans les pays les plus pauvres.

Pendant que les leaders luttent contre la pandémie, ils et elles ne doivent pas abandonner la lutte mondiale contre la mortalité maternelle et infantile. Le choix est clair : agir aujourd’hui pour veiller à ce que les femmes et les enfants aient accès aux soins de santé nécessaires à leur épanouissement, pour eux-mêmes, leurs communautés et leurs économies, ou faire marche arrière et éliminer des années de progrès durement conquis. Les enjeux n’ont jamais été si grands.